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Elle sert à quoi ton association ?
Durant mes années d’études à l’UTC, j’ai passé plus de 2 ans en tant que bénévole dans le FAI associatif Rhizome et j’ai eu la possibilité de co-fonder, avec d’autres étudiants et enseignants, l’hébergeur associatif Picasoft fin 2016.
À plusieurs reprises j’ai eu des discussions qui pouvaient s’apparenter à “mais à quoi ça sert ?”. Bien entendu, c’est à chaque fois exprimé de manière plus subtile, avec des phrases comme :
Pourquoi vous faites tout ça pour à peine 25 abonné⋅e⋅s à votre FAI ? Ça ne va rien changer du coup.
Pourquoi vous ne proposez pas ce service là aussi ?
Votre service là il est cool, mais celui de Google il est mieux, du coup personne ne va changer pour le vôtre.
Généralement le propos est sincère et n’est pas mal intentionné. Il y a un réel questionnement sur l’intérêt, l’apport concret, de ce type d’association. Et c’est légitime, on a un peu l’impression d’avoir affaire à David contre Goliath. À plusieurs reprises même je me suis dit, intérieurement, que la personne en face de moi avait raison, que c’était vain. La plupart du temps je réponds que les personnes qui ne font rien sont priées de ne pas décourager celles qui essayent. Mais en y repensant récemment je me suis dis qu’il y a une autre réponse, bien meilleure, à apporter.
Militantisme != compétition
En réalité ce questionnement vient du fait que l’on considère d’office que ce genre de démarches associatives essayent de “rentrer en concurrence” avec Facebook, Orange, Google, Bouygues Telecom, Microsoft, etc. Or ce n’est pas le cas. Déjà parce que dans une société capitaliste globalisée, il ne peut pas exister de “concurrence” aux 5 plus grosses capitalisations au monde que sont les GAFAM. Mais surtout parce que ce n’est juste pas le but de nos associations : on s’inscrit dans une démarche de sensibilisation et d’éducation (c’est à dire une démarche militante, sur le long terme) et non dans une démarche de compétition aux GAFAM.
Désormais je sais ce que je répondrais lorsque l’on me demandera à quoi sert Picasoft, pourquoi l’on ne propose pas plus de services, etc. : tout simplement que l’on fait beaucoup d’autres choses. Et même beaucoup plus que ce que je ne le pensais avant de commencer à écrire cette liste !
Sensibilisation
Conférences
Pour commencer Picasoft organise régulièrement (au minimum une fois par semestre) des conférences pour sensibiliser à l’informatique libre et aux problématiques de vie privée, et on a déjà invité du beau monde :
- Frédéric Urbain de Framasoft pour parler dégooglisons internet
- Valentin Grimaud (aka ljf) de Alsace Réseau Neutre et contributeur Yunohost qui a expliqué aux futurs ingénieur⋅e⋅s comment agir pour un internet éthique
- Magali Garnero, de l’April et Framasoft, ainsi que Marie Duponchelle, avocate du barreau de Compiègne, pour parler des DRM (qu’est-ce que c’est, qui cela protège, pourquoi c’est gênant, etc.)
- taziden de La Quadrature Du Net et Ilico pour faire un état des lieux de la censure sur le net en France, mais aussi parler des contournements techniques à la neutralité du net
Toutes ces conférences organisées reçoivent plusieurs dizaines de personnes, parfois qui ne sont pas sensibilisées aux problématiques abordées. C’est une porte d’entrée intéressante, sur les thématiques défendues par Picasoft, à l’UTC. On s’adresse à des personnes qui seront ingénieur⋅e⋅s, auront potentiellement des responsabilités dans leur métier et prendront des décisions techniques ayant un impact politique.
Évangélisation
De plus Picasoft participe aussi à des évènements qui touchent un plus large public, comme la Fête de la Science. Au cours d’une semaine, l’association anime différent ateliers auprès d’élèves allant de la maternelle au lycée. Ces ateliers de présentation d’alternatives libres, d’aide à la compréhension de l’informatique, ou de sensibilisation à la vie privée permettent d’atteindre un public plus jeune, qui est encore en train d’apprendre à utiliser les outils informatiques.
Et (spoiler alert), il est prévu de potentiellement intervenir dans des classes de collèges et lycées sur les semestres à venir.
Par ailleurs Picasoft tend à participer à des évènements hors de son cadre habituel (l’UTC et/ou Compiègne). Ce n’est encore qu’un début, mais des bénévoles ont participé aux deux dernières éditions du festival des Geek Faëries aux côtés de Framasoft. La présence dans ce genre d’évènement permet d’atteindre “le grand public” (du moins une partie du grand public) et de porter nos valeurs au delà de l’UTC.
Aider et former
Install Party
Bien évidemment, qui dit association de libriste dit Install Party. Depuis sa création, Picasoft propose, plusieurs fois par semestres, d’aider des personnes à basculer sur des logiciels libres. La plupart du temps il s’agit d’installer une distribution Linux, mais cela peut aussi être une aide pour basculer sur des logiciels comme Firefox et Thunderbird, ou encore son téléphone sur LineageOS.
Encadrement de projets
Depuis sa création, Picasoft encadre chaque semestre des étudiant⋅e⋅s dans la cadre d’UV à projet appelée TX. Les TX sont des cours que peuvent choisir les étudiant⋅e⋅s et qui prennent la forme d’un unique projet à mener tout au long du semestre. Il n’y a pas de cours à proprement parler, mais un suivi est réalisé par le porteur de projet et au moins un⋅e enseignant⋅e encadrant⋅e. Dans le cadre de Picasoft, les sujets proposés sont variés :
- contributions à un logiciel libre, comme Framadate qui a conduit à un article sur le Framablog
- création de supports de cours
- amélioration de l’infrastructure de Picasoft
Dans le cadre de ces projets, les élèves ont la possibilité de se former à de l’administration système, du développement, mais aussi à la contribution sur logiciel libre et à la pédagogie. Le succès varie selon les projets et le semestre, mais généralement le projet donne un résultat ayant une utilité pour Picasoft et un réel intérêt pédagogique pour les étudiant⋅e⋅s (généralement en binôme).
Former
Depuis plusieurs semestres maintenant, Picasoft créé des supports de cours pour apprendre les bases de l’administration système et de l’auto-hébergement. Ces supports ont été produit en grande partie par des étudiant⋅e⋅s dans le cadre des TX évoquées juste avant. Ils ont pour vocation à être diffusés pour que n’importe qui puisse les utiliser en autonomie. Par ailleurs ils peuvent aussi être utilisés comme supports pédagogiques pour un cours : ils ont par exemple été utilisés dans le cadre de la semaine de formation SU (pour Sorbonnes Universités) à l’UTC. Lors de cette semaine de formation, des bénévoles de Picasoft sont intervenus, supports pédagogiques à l’appui pour former les étudiant⋅e⋅s à auto-héberger un service, à travers des exercices.
Cette première utilisation des supports à été un succès et ceux-ci devraient être enrichis et de nouveau utilisés dans le futur.
Héberger
Bien entendu, un hébergeur associatif comme Picasoft propose aussi différents services libres, en alternatives à ceux des GAFAM. Le panel actuel est restreint mais très utilisé : une instance Mattermost et une instance Etherpad.
En 1 an et demi d’utilisation, le services de communication Mattermost totalise près de 1300 personnes sur plus de 120 équipes. Depuis son ouverture, plus de 100 000 messages ont été échangés.
Le service d’écriture collaborative héberge quant à lui plus de 900 documents.
Cela peut sembler peu important, mais ce sont autant de personnes qui n’utilisent plus Slack ou Google Drive et qui, peut-être, vont participer à évangéliser, à leur échelle, pour ces outils alternatifs.
Tisser du lien social
On y pense pas spontanément mais Picasoft, comme la plupart des associations, créé du lien entre les individus. Tout d’abord entre les bénévoles, qui participent ainsi à la vie associative de l’UTC. C’est une expérience qui est un atout incontestable de la formation à l’UTC et qui s’avère plus que nécessaire dans la vie professionnelle et personnelle.
Mais aussi un lien entre les associations de l’UTC (et d’ailleurs) à travers des “partenariats”, des évènements communs, des échanges de services, etc. participant ainsi à renforcer l’ampleur du tissu associatif UTCéen.
Enfin, Picasoft est une des rares associations à l’UTC regroupant des bénévoles du milieu étudiant et enseignant à la fois. L’association permet de faire un pont et de créer de nouveaux liens entre ces deux groupes, souvent cloisonnées dans une relation prof-élèves. Les rapports ne sont plus forcément les mêmes au sein de Picasoft, les échanges de savoirs et de compétences sont complètement bi-directionnels et cela permet d’envisager de nouvelles manières d’aborder la formation à l’UTC (dans notre cas, sur le cursus de l’informatique).
Conclusion
En conclusion c’est en posant sur papier (enfin sur clavier) ce que fait Picasoft que je me suis rendu compte de l’importance des actions de nos associations. Alors oui, c’est vrai, on ne concurrence pas les GAFAM et on ne va pas à la conquête de parts de marchés. En effet on ne touche qu’un public assez restreint en nombre (même si cela tend à s’agrandir). Mais ce sont les petits rien qui font les grands tout.
Car le collectif d’hébergeurs C.H.A.T.O.N.S. dont fait partie Picasoft compte déjà plus de 61 structures. Toutes oeuvrent à leur échelle (grande ou petite), avec des moyens d’actions différents, un public différent, etc. Et c’est ça notre force, celle des militant⋅e⋅s, celle de notre réseau. On a pas des milliards à investir dans nos projets, on a peu de ressources humaines, mais on gagne du terrain, de manière très lente mais pérenne. Et c’est grâce à tout ça que, je l’espère, à la fin on gagnera.